« Conseil d’Etat et pédophilie : l’affaire lamentable du Palais de Tokyo » (Penser la France)

21 avril 2023

[Photo : Le tableau « Fuck Abstraction » de Miriam Cahn exposé au Palais de Tokyo]

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[A propos de l’affaire « Fuck abstraction » – Palais de Tokyo]

Communiqué national des Clubs Penser la France

Le vendredi 21 avril 2023, 12h00.

La décision du juge des référés du Conseil d’Etat du 14 avril 2023, relative à l’exposition de l’artiste Miriam Cahn – notamment son tableau « Fuck abstraction » montrant « un enfant violé forcé d’effectuer une fellation à un homme adulte » – soulève à juste titre un tollé de protestations chez la plupart des acteurs de la protection de l’enfance qui demandent le retrait de cette œuvre ou l’interdiction d’accès aux mineurs[1].

Les Clubs Penser la France ont décidé d’apporter leur total soutien aux associations.

La décision du juge des référés n’est pas sérieuse et appelle plusieurs critiques tant du fait de son raisonnement que de son argumentation.

Dans son ordonnance de rejet, le juge des référés va d’abord pointer le dispositif du muséum pour interdire l’accès à l’exposition aux mineurs non accompagnés[2] puis se faire attaché-de-presse de l’artiste pour expliquer qu’il y a méprise sur le sujet !

Citant abondamment l’auteur, le juge explique qu’il ne s’agirait pas de la représentation d’un enfant et le « contraste entre (…) deux corps » figure « la puissance corporelle et l’oppresseur et la fragilité de l’opprimé agenouillé et amaigri par la guerre » (sic).

Cette argumentation ne résiste pas à l’analyse des faits.

S’il ne s’agit pas d’un enfant violé, pourquoi le Palais de Tokyo a décidé de limiter – avec plus ou moins d’ambition – l’accès à l’œuvre pour les mineurs ?

Pourquoi le juge lui-même s’étonne-t-il « à regret »  de la diffusion d’un cahier pédagogique à destination nationale des enseignants dépourvu de toute forme d’avertissement ?[3]

Quel est donc cette œuvre, la nature de son sujet, qui choque – et le Musée et le juge et l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance – au moins par son ambiguïté ?

Dès lors, s’impose une interrogation magistrale : Pourquoi nier ce que tout le monde constate comme une évidence : Cette représentation montre « un enfant soumis à un viol » ?

Si les premiers arguments laissent pantois, le raisonnement juridique est sidérant de désinvolture.

Pour s’exonérer de toute critique, le juge des référés souligne que de toute façon, «  (…) il résulte de l’instruction qu’aucun mineur visitant seul l’exposition n’a été signalé et qu’aucun incident né de la présence d’un mineur devant le tableau en cause n’a été recensé » ?[4]

D’ailleurs, répète le juge acrobate, « l’intention de l’artiste est de dénoncer un crime » et « la société a fourni (…) des éléments de contexte permettant de redonner à son extraordinaire crudité le sens que Miriam Cahn a entendu lui attribuer ».

On pourrait attendre presque avec humour – si cela n’était si grave – des œuvres à proclamation raciste ou antisémite dont l’artiste nous expliquerait la signification cachée donc acceptable pour notre pauvre juge des référés.

L’atteinte au principe du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant ne mérite-t-il pas une considération au moins aussi grande ?

Le principe du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant – de sa protection – n’est-il pas au fondement du respect de la dignité de la personne humaine ?

Et à ce titre, ne vaut-il pas mieux prévenir à l’aune de l’émoi légitime – jamais pris en défaut – des acteurs de la protection de l’enfance ?

Nous gardons tous en mémoire les conclusions historiques du commissaire du gouvernement – M. Patrick Frydman : « Le respect de la dignité de la personne humaine, concept absolu s’il en est, ne saurait en effet s’accommoder de quelconques  concessions en fonction des appréciations subjectives que chacun peut porter à son sujet »[5].

Oui ! Cette décision est inacceptable et soulève à juste titre la colère des défenseurs de la protection de l’enfance[6]. Nous devons les soutenir.

Une fois de plus, il faut s’interroger sur le rôle du juge et sur sa mission.

Nous devons réaffirmer – encore et toujours – notre attachement aux principes que nos plus brillants ainés ont su dégager en rappelant que le juge – même le juge administratif – manque toujours à son devoir de protection, y compris de protection de l’ordre public, devoir premier, quand il croit dire le droit en pleine distorsion du réel humain.

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[1] Conseil d’Etat – communiqué de presse et ordonnance – https://www.conseil-etat.fr/actualites/le-tableau-fuck-abstraction-!-de-miriam-cahn-peut-rester-expose-au-palais-de-tokyo;

[2] « Est placé à l’unique entrée de cette salle un panneau indiquant : « Certaines œuvres de cette salle sont susceptibles de heurter la sensibilité des publics. Son accès est déconseillé aux mineurs. / L’équipe de médiation est à votre disposition pour échanger avec vous sur les œuvres. » Deux agents de surveillance – dont l’un est présent en permanence à l’entrée de la salle d’exposition de l’œuvre et le second au milieu de celle-ci – ont pour mission de dissuader les personnes mineures non accompagnées par un adulte d’accéder à cette salle. Un membre de l’équipe de médiation est également présent en permanence auprès du tableau (…) » considérant 8 ;

[3] « (…) l’on peut regretter que le cahier pédagogique à destination des enseignants, fourni au titre de la mission statutaire de l’établissement de conception et mise « en œuvre des actions d’éducation artistique et culturelle, notamment en direction des jeunes », ne comporte aucune forme d’avertissement quant à l’impact possible de certaines œuvres sur des mineurs, notamment parmi les plus jeunes (…) – considérant 9 –

[4] Considérant 8 ;

[5] (CE, ass., 27/10/1995, Commune de Morsang-sur-Orge)

[6] Ici, notamment, ASSOCIATION JURISTES POUR L’ENFANCE, ASSOCIATION PORNOSTOP, ASSOCIATION INNOCENCE EN DANGER, ASSOCIATION FACE A L’INCESTE ;

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